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Climat et coronavirus provoquent une forte hausse des prix alimentaires

Un stand de marché en Argentine. [Keystone/AP Photo - Natacha Pisarenko]
L'importante inflation des denrées alimentaires de base: interview de Sébastien Abis / Tout un monde / 10 min. / le 7 juin 2021
Les prix des denrées alimentaires n'ont jamais été si élevés depuis 10 ans sur le plan mondial. Dans l'émission Tout un monde, Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l'agriculture Demeter, souligne les effets conjoints de la pandémie et du climat.

Céréales, huiles végétales, sucre… les prix des denrées alimentaires de base n'ont jamais été aussi élevés depuis 10 ans sur le plan mondial. Au mois de mai, en comparaison annuelle, ils ont augmenté de 40%. Ils partaient certes de très bas, mais il est devenu nettement plus cher de se nourrir.

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Invité lundi dans Tout un monde, Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l'agriculture Demeter, explique que la pandémie de coronavirus a eu un effet sur la dynamique de renchérissement des matières premières, toutes matières confondues, qui ont connu "une augmentation significative" de leurs cours ces derniers mois. Mais le chercheur à l'Institut des Relations internationales et stratégiques souligne aussi l'influence d'un "contexte climatique pas favorable", notamment à cause d'une sécheresse au Brésil, qui a des conséquences sur la production de maïs, de sucre ou de café dans ce pays.

Aujourd'hui, notre situation globale au niveau de la sécurité alimentaire est beaucoup moins favorable qu'il y a un an et demi au début de la pandémie de coronavirus

Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l'agriculture Demeter.

A cela s'ajoutent des instabilités sociales récurrentes en Colombie, autre grand producteur de café. "Aujourd'hui, notre situation globale au niveau de la sécurité alimentaire est beaucoup moins favorable qu'il y a un an et demi au début de la pandémie de coronavirus", relève Sébastien Abis. "Certains – j'en faisais partie – avaient souligné que l'inquiétude serait croissante à mesure que cette crise perdurerait, et que si le climat ajoutait une couche de difficulté supplémentaire, l'équation serait compliquée. Et le résultat est là: l'indice moyen des prix alimentaires n'a jamais été aussi haut depuis 10 ans."

Une importante demande chinoise

En termes d'offres, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte: la sécheresse au Brésil contribue largement à la flambée des prix, insiste Sébastien Abis. Même si le monde de l'agriculture n'a pas subi directement de confinement, il a tout de même ressenti le contrecoup de la crise du coronavirus "qui a rendu difficile l'ensemble des métiers, y compris celui de l'agriculture", avec des modes de production qui ont été impactés.

Les modes de consommation ont aussi une influence sur les prix, avec une Chine "dévorante, qui a beaucoup acheté depuis un an", pour reconstituer notamment ses stocks de maïs ou de soja pour nourrir le bétail, et en particulier l'élevage porcin qui avait été décimé par la fièvre porcine africaine. La Chine veut assurer sa sécurité alimentaire, à la fois en étant le plus grand producteur de matières agricoles au monde, et en étant le premier acheteur mondial de ces mêmes denrées.

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Près d'un milliard de personnes en insécurité alimentaire sévère

Une autre source d'inquiétude réside dans la capacité des populations vulnérables à accéder à une nourriture qui se renchérit.

Le grand impact de la crise du coronavirus est un impact socio-économique, pointe Sébastien Abis: une grande partie de la classe moyenne, qui avait accédé à des pouvoirs d'achat supplémentaires depuis une vingtaine d'années, a été fortement touchée par la crise économique, avec des pertes de revenus et de capacité à accéder aux produits de base.

Certains sont en train de retomber dans la pauvreté, dont l'une des premières conséquences est d'avoir moins d'accès à la nourriture. Si en plus les coûts de cette nourriture augmentent alors que les revenus baissent, la tension alimentaire pour la population mondiale vulnérable devient difficile.

Pour Sébastien Abis, la barre du milliard de personnes en insécurité alimentaire sévère pourrait être franchie cette année, compte tenu de l'impact économique engendré par la crise du Covid.

Une crise alimentaire mondiale?

Au sein de cette grande crise mondiale multifactorielle liée à la pandémie de coronavirus, "nous avons l'imbrication de plusieurs crises, dont celle de l'alimentation", détaille le chercheur. "On avait toujours une tension alimentaire pour une partie de l'humanité ces dernières années. Cette tension s'est amplifiée depuis un an et demi, y compris dans les pays très développés."

Nous avons l'imbrication de plusieurs crises, dont celle de l'alimentation

Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l'agriculture Demeter.

Allant de pair avec leur paupérisation, certaines populations peuvent être victimes d'une dégradation dans les quantités de nourriture disponibles, mais aussi dans leur équilibre nutritionnel.

A l'autre bout de la chaîne, les agriculteurs sont aussi confrontés à des incertitudes, qui les fragilisent, sur le plan sanitaire évidemment, mais aussi en termes de logistique ou de marché. "Et nous devons regarder la variable agricole, parce que dans toutes les grandes crises, il convient de scruter les thèmes qui concernent tout le monde – et nous avons tous besoin de nous nourrir chaque jour."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adapation web: Eric Butticaz

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